Voilà déjà presque une semaine qu'un quartier résidentiel de la rive sud du lac de Bienne se donne des airs de station de vacances méditerranéenne. En effet, son climat doux et ses jardins exotiques et provençaux où croissent pêle-mêle lavandes, romarins, buis, cotonéasters, thuyas, araucarias et bambous ont accueilli une jeune fauvette mélanocéphale mâle en villégiature. Malgré la grisaille du moment, le petit voyageur du Sud semble trouver ici un environnement suffisamment familier pour s'y attarder. Furtive, elle passe le plus clair de son temps au sol et sous les buissons, dans le lierre et autres "couvre-sols". Fait intéressant, et même si les essences indigènes s'y font tristement rares, c'est malgré tout dans les jardins plutôt anciens et bien structurés, riches en fourrés denses et pourvus de quelques talus herbeux un peu délaissés que la fauvette a jeté son dévolu. Aucune visite du petit insectivore sur les gazons anglais bordés de la fameuse haie de lauriers cerises ou de thuyas taillée au cordeau, dont l'esthétique n'a d'égal que la navrante banalité, et pourtant si chère aux Helvètes pour le plus grand malheur de la biodiversité urbaine... Rien à se mettre sous le bec, sans aucun doute, dans ces déserts biologiques "entretenus" à grand renfort d'herbicides, fongicides et autre "anti-mousse" ! Ces quelques considérations pour rappeler que la promotion de la biodiversité concerne tout un chacun.
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Ce samedi matin s'annonçait sans histoire: rendez-vous à 10h du matin dans le Jura neuchâtelois pour le suivi des pérégrinations d'un aiglon fraîchement envolé du nid… Mais les aléas des mouvements aviens en décidèrent autrement. Mes tranquilles préparatifs furent brusquement interrompus par un message : Pie-grièche brune à la Krümmi ! Ce secteur, composé d'un ensemble de surfaces de promotion de la biodiversité (SPB) particulièrement attractives pour les oiseaux se trouvant à deux pas de chez moi, je n'hésitai pas une seconde. Le pique-nique hâtivement emballé, je fonçai sur les lieux de cette apparition improbable. Il était 8h, ce qui me laissait une heure avant de devoir me mettre en route pour les sommets jurassiens. Quelques observateurs, déjà sur place, venaient d'apercevoir l'oiseau qui n'était donc pas le fruit d'une quelconque affabulation… Inondée par le soleil matinal, la haie qui bordait les étangs grouillait littéralement de pies-grièches. Plusieurs familles d'écorcheurs étaient en effet à l'affût sur les buissons; les oiseaux piquaient régulièrement sur des proies invisibles qui évoluaient au sol et remontaient aussitôt se brancher pour avaler leur capture ou reprendre leur patiente observation. Le suivi attentif de ces allers et venues donnait presque le tournis. Mais aucun oiseau ne présentait les caractères espérés. Bientôt une heure d'observation… Je passe de l'autre côté de la haie et détecte soudain un mouvement dans un sureau tout proche. Bien plus proche que là où les écorcheurs étaient postées ! Un coup de jumelle révèle une pie-grièche adulte au masque facial complètement noir, prolongé d'un bec massif dont le gigantisme était accentué par sa coloration d'un noir profond. Aucun doute possible: la pie-grièche brune était devant moi et me présentait sa face dorsale entièrement brune d'où ressortaient le centre des tertiaires plus sombre. Les hochements de sa queue, malmenée par la mue, révélaient l'étagement caractéristique des rectrices. Contre toute attente, l'oiseau se retourna et s'approcha encore de nous; il s'immobilisa quelques secondes sur un prunelier, dévoilant sa poitrine chamois, presque orangée, puis s'enfonça à nouveau dans les buissons où il disparut à nouveau pour plus d'une heure…
Apparition irréelle que cette magnifique Talève au bord des étangs du Creux-de-Terre dans la plaine de l'Orbe ! Au côté des Hérons pourprés, Bihoreaux et autres Blongios, la scène n'est pas sans rappeler le delta du Guadalquivir ou la Camargue. Très certainement encore une manifestation - très colorée et pas du tout désagréable cette fois-ci - du réchauffement climatique en cours. L'oiseau, après avoir poussé quelques grincements sonores et aigus, surgit d'entre les joncs et s'affaire à en arracher les tiges pour en dévorer la moelle blanche. En équilibre sur les tiges qui ploient sous son poids, on dirait un étrange dinosaure emplumé, juché sur des pattes colossales et disproportionnées. Alors que le crépuscule descend lentement et que le chant des grenouilles monte peu à peu du marais, le Porphyrion pousse une dernière fois sa clameur et s'envole brusquement au cœur de la roselière.
Cette année, le printemps semble s'éterniser, pour le plus grand bonheur des birdwatchers… Alors que le passage des Étourneaux roselins et des Faucons kobez vient de s'achever, Élanion, Crabiers, Ibis falcinelles, Échasse et Sternes hansel, caugeck, caspienne et arctique s'attardent autour des lacs romands. La veille et l'avant-veille ont vu défiler plusieurs averses orageuses et le niveau du lac est bien remonté. Je passe rapidement au delta de Hagneck avant le boulot ; c'est le seul site des Trois-Lacs, avec Salavaux, qui pourrait encore accueillir un limicole attardé avec un tel niveau d'eau. En effet, le banc de galets formé par les alluvions charriés par le Hagneckkanal, déjà fortement colonisé par la végétation à cette saison, est en grande partie inondé. Je repère rapidement un mouvent parmi les entrelacs verts et jaune des Cressons et autres Barbarées. Après quelques secondes, apparaît dans une trouée un superbe Stagnatile adulte piquant de-ci de-là, de son bec en aiguille, de minuscules insectes accrochés aux plantes, tel des naufragés face à la montée soudaine des eaux. Le limicole, juché sur ses échasses démesurées, ne semblait, quant à lui, guère affecté et profitait au contraire de cette aubaine.
Rien ne laissait présager que le phénomène se répéterait à nouveau dans un aussi court laps de temps. Pourtant, seulement deux ans après la dernière invasion d'Étourneaux roselins en Suisse et Europe occidentale (mai-juin 2018), un groupe de 5 individus quittant un dortoir d'une roselière du lac de Neuchâtel fut repéré le matin du 26 mai 2020. Puis les observations s'enchaînèrent très rapidement, avec, comme lors du dernier afflux, des groupes importants surtout dans le sud des Alpes. Néanmoins, cette fois-ci, les étourneaux venus des steppes se dispersèrent davantage sur le Plateau suisse et le nombre d'observation dépassa largement celui de 2018. Après avoir été repérés d'abord dans un imposant dortoir de sansonnets, 3 Étourneaux roselins passèrent plusieurs jours dans le Seeland, mêlés aux étourneaux locaux, exploitant tantôt les cerisiers sauvages bordant les canaux, tantôt les prairies intensives fraîchement fauchées. Bien visibles au milieu des vols sombres de leurs congénères indigènes, les visiteurs de l'Est, avec leur parure contrastée, attirèrent de nombreux observateurs. La mi-juin passée, les oiseaux roses et noirs disparurent aussi subitement qu'ils étaient arrivés, emportant avec eux le secret de leurs spectaculaires invasions…
Alors que le printemps commence à se faire sentir et qu'une bonne perturbation d'ouest vient de balayer la région, je décide de me mettre en quête d'éventuels groupes de vanneaux bloqués par les averses de la veille. La plaine de la Broye constitue à cet effet un site idéal et attire de plus souvent quelques pluviers dorés déroutés. Mais ce matin, étonnement, les vastes labours restent désespérément vides… Et puis je suis tombé sur elle. Je l'avais un peu oubliée. A force d'en entendre parler et de la voir en photo partout, je m'y étais habitué et n'y pensait plus trop… Elle, c'est la jeune buse pattue qui a choisi de passer tout l'hiver à Grandcour, en bordure de la plaine de la Broye. Signalée la première fois aux alentours du 20 décembre 2019, elle restera fidèle au site au moins jusqu'à ce jour et attirera de nombreux observateur. Du moins au début… Car tout événement, aussi remarquable soit-il, s'il a tendance à s'éterniser, finit par perdre de son attrait. C'est donc en cherchant mes pluviers que je me retrouve en bordure de sa parcelle de prairie préférée; celle qui, cela mérite d'être souligné, est la plus âgée du secteur, donc la plus diversifiée (ou plutôt la moins banale) d'un point de vue botanique (nous sommes dans une région de grandes cultures où les prairies artificielles sont engraissée et renouvelées régulièrement dans un souci de productivité peu respectueux de la biodiversité…). Certainement que les campagnols y trouvent un certain havre de paix où douches de Roundup et passages au fil de la charrue se font moins fréquents… Bref; quoi qu'il soit, notre buse nordique doit bien y trouver un quelconque intérêt, puisque je la trouve à nouveau posée au beau milieu de ladite parcelle. A l'affût de chaque mouvement, elle scrute les touffes d'herbe de son petit air innocent et un brin naïf si difficile à croquer et à mettre en couleur…
Signalé dans la matinée à proximité du camping de Muntelier au sud-est du lac de Morat, Suisse, le petit fuligule, un mâle, est rapidement repéré parmi une bonne centaine de morillons et milouins, en lisière de roselière devant la forêt du Chablais. Malgré la distance, sa silhouette courte et ses flancs gris plomb, réhaussés vers l'avant de leur tache blanche si caractéristique, trahissent assez facilement sa présence. Après plusieurs minutes d'une observation par trop distante et vu la somnolence entêtée du petit américain, nous tentons une approche par la forêt. Les petits observatoires de bois installés en bordure de roselière devraient pouvoir faire l'affaire… En effet, après avoir grimpé les marches du deuxième, nous apercevons une vingtaine de fuligules par dessus les hampes plumeuses des roseaux, à moins de 50 mètres. Et parmi eux, notre petite rareté d'outre-Atlantique. Toujours aussi endormie. Quelques photos et une heure plus tard, alors que les doigts commencent à geler sérieusement et le soleil (complètement invisible derrière le brouillard) à décliner, nos fuligules s'agitent soudainement comme par miracle (nous n'y croyions plus). Ils se mettent à nager rapidement pour chercher le couvert des roseaux et lèvent donc la tête, exhibant enfin leur bec. Tous, sauf le Ricain qui nageait à toute allure, le bec désespérément fiché dans les plumes! A travers la longue-vue, j'étais sur le point d'assister à sa disparition derrière l'entrelacs des roseaux, lorsque, in extremis, il releva la tête, révélant enfin le cercle blanc de son bec qui lui valait son nom. Le liseré blanc de sa racine m'indiqua même qu'il s'agissait d'un adulte, malgré les quelques traces brunes de l'éclipse qui maculaient encore ses flancs. Et il s'évanouit dans la roselière.
Il était moins une: une observation de fuligule à bec cerclé sans son bec aurait eu comme un arrière goût d'inachevé… Quelle extraordinaire coïncidence que l'apparition de ce cette espèce en ces lieux ! Originaire des forêts montagneuses du Tian Shan, à l'ouest de la Chine, le petit migrateur n'aura certainement pas choisi d'atterrir dans ce parc à cause de l'architecture de sa pagode… Le climat tempéré du bord du lac ainsi que le couvert offert par de grands feuillus auront certainement joué un rôle plus significatif (en dehors du hasard et des mystères de la météo qui l'auront dérouté). En effet, durant près d'une semaine, le petit insectivore pourra être observé non loin du lac, fouillant le feuillage, tantôt d'un érable argenté, tantôt d'un grand hêtre pleureur pourpre. L'attroupement des birders, accourus des quatre coins du pays et affublés d'un attirail détonnant quelque peu dans ce milieu citadin, n'aura pas manqué d'attiser la curiosité des passants. Ce jour-là, je devrai donc (tenter d') expliquer (mon Züritütsch n'est pas encore tout à fait parfait) (c'est un euphémisme!) à quatre reprise que non, je ne photographie pas l'arbre rouge mais le petit oiseau invisible qui s'y cache, que oui il a confondu Zürich avec le Rajasthan et a parcouru pas loin de 5000 km à la force de ses quelques 5 grammes, que oui je suis venu de Neuchâtel tout exprès pour voir ça et que non je ne suis pas (complètement) fou... Quoi qu'il en soit, je passerai une bonne heure à me délecter des acrobaties de ce remuant chinois avant de reprendre le chemin du retour (qui aura quand même coûté moins de CO2 qu'un "saut de puce" dans le Xinjiang).
Peu de jours après que l'ouragan Dorian eut frappé la côte est des Etats Unis, apparaissait cette jeune mouette atricille sur les rivages du Léman, probablement déportée par les forts vents associés au passage du cyclone dans l'Atlantique nord. Repérée à l'embouchure de l'Aubonne le 22 septembre ainsi que le lendemain soir, la mouette semblait apprécier le secteur; je décide donc de tenter ma chance cet après-midi. Arrivé au petit port d'Allaman, face à l'immensité du lac encore agité par les derniers reliefs de la tempête, je constate que la partie n'est pas encore gagnée. Seules quelques mouettes rieuses et goélands animent le rivage… Par contre, un important groupe de laridés pêche dans le vent, très loin en face de Rolle. Par acquis de conscience, je passe près de 2h sur les quais de la Perle du Léman à scruter chaque mouette. Peine perdue. Je rejoins bredouille la plage d'Allaman… Puis, soudain, l'événement tant attendu: un laridé longe la rive boisée en direction de l'embouchure de l'Aubonne. Coup de jumelles: dessus des ailes gris ardoise et pointe des ailes largement noires, bord de fuite blanc. C'est elle! L'oiseau est de dos et disparaît une demi-seconde plus tard derrière les arbres. Je cours comme un dératé, sautant par dessus les éclaboussures des vagues, manquant à chaque bond de trébucher sur les racines mises à nu par l'érosion. Après 400m de course effrénée dans les galets fuyants, la longue vue tressautant sur l'épaule et le sac à dos battant les reins, j'arrive en nage au port de pêche. Ouf! La mouette est stoïquement posée (elle!) sur les enrochements de la digue. Coopérante, elle attendra que je reprenne mon souffle avant de repartir à la pêche, cette fois sous mon œil attentif, puis finira par se poser dans les vagues pour y passer la nuit, en compagnie de quelques rieuses.
Même si j'avais déjà passé plusieurs étés et automnes dans les "marshes" du Norfolk, je n'avais toujours pas réussi à mettre la main (ou plutôt l'œil) sur ce limicole nord-américain pourtant assez régulier sur les côtes britanniques. C'est donc sans trop hésiter que je fis le déplacement, en ce matin du 10 mai, après avoir appris la nouvelle (pourtant tombée la veille): chevalier à pattes jaunes à Klingnau. First for Switzerland ! Le temps était froid et pluvieux depuis près d'une semaine et d'importants blocages de limicoles avaient été constatés (p.ex. 12 Pluviers argentés et 30 gambettes au Fanel deux jours plus tôt). Arrivé sur la tour d'observation du centre Birdlife, je suis surpris de constater qu'aucun ornitho n'est présent. Pourtant le visiteur américain est bien là, en compagnie de quelques aboyeurs et gambettes. Bien que fort éloigné et évoluant en eau profonde (donc les pattes invisibles), son identité ne laisse planer aucun doute: légèrement plus petit et plus gracile que les gambettes, il présente un coloration s'approchant de celle des aboyeurs, en particulier très claire sur les parties inférieures. Quelque peu frustré par la distance de l'observation, je continue mon chemin le long de la berge et parviens à une petite trouée dans la roselière, située exactement à la hauteur de nos quelques chevaliers. Nettement plus proche cette fois-ci, je distingue encore le bec fin et entièrement noir de notre hôte, son sourcil très blanc, confiné à l'avant de l'œil et souligné d'un trait loral très sombre, sa calotte parfois un peu hérissée et l'avant des flancs grossièrement barrés typiques d'un adulte. La longueur des ailes dépassant la queue était aussi remarquable. Tout risque de confusion avec un sylvain était donc définitivement écarté. Cerise sur le gâteau, notre limicole se rapprocha encore de la rive opposée et, même si ce déplacement l'éloigna encore davantage des observateurs, il eut l'indéniable avantage de dévoiler peu à peu l'éclatante coloration de ses pattes qui se révélèrent par ailleurs d'une longueur fort respectable ! Aucun doute que le héros du jour portait bien son nom… et qu'en compagnie des Grünschenkel et Rotschenkel, notre Kleiner Gelbschenkel nous offrait une palette très colorée.
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Décembre 2020
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